"Haïti sous contrat : drones et mercenaires contre les gangs, silence sur les vrais commanditaires"

Alors que le gouvernement haïtien fait appel à Erik Prince, ex-patron de Blackwater, pour une guerre technologique contre les gangs, aucune mesure ne vise ceux qui les financent. Une stratégie qui soulève plus de questions que de réponses.

ACTUALITESINTERNATIONAL

5/29/20252 min read

L’annonce aurait pu sembler spectaculaire, presque rassurante : l’État haïtien passe à l’action contre les gangs armés. Mais à y regarder de plus près, cette décision soulève plus de questions qu’elle n’en résout. En confiant une partie de sa sécurité à une société militaire privée dirigée par Erik Prince, fondateur de la controversée Blackwater, le gouvernement haïtien signe un aveu d’échec. Incapable de bâtir une solution institutionnelle et durable, il choisit l’externalisation de la violence d’État.

L’opération a tout d’un coup de théâtre sécuritaire. Drones, équipements de guerre, mercenaires étrangers... Une démonstration de force contre les gangs de rue. Mais que fait-on des autres formes de criminalité, moins bruyantes mais tout aussi destructrices ? Où est la stratégie contre les “gangs à cravate”, ces élites politico-économiques qui financent, arment et instrumentalisent la violence depuis les hautes sphères du pouvoir ?

Depuis des mois, des sanctions internationales visent plusieurs figures influentes du pays, accusées de soutenir les groupes armés. Pourtant, sur le plan national, rien : pas d’enquête sérieuse, pas d’arrestation, pas même de tentative de rendre des comptes. L'État frappe fort dans les quartiers pauvres, mais reste silencieux devant ceux qui tirent les ficelles depuis les bureaux climatisés. C’est cette asymétrie choquante qui décrédibilise toute la démarche.

En acceptant le partenariat avec une entreprise comme Blackwater, connue pour ses bavures et sa brutalité, Haïti ouvre un dangereux précédent. On ne parle plus seulement de lutte contre l’insécurité, mais de privatisation des fonctions régaliennes : demain, faudra-t-il aussi sous-traiter la justice, les prisons, la gouvernance elle-même ? Cette dérive révèle un État qui se vide de sa mission, et se transforme en spectateur armé de sa propre fragilité.

Le peuple haïtien mérite mieux qu’une guerre téléguidée contre les symptômes de la crise. Il a droit à une vraie justice, à une lutte courageuse contre les vrais responsables – même ceux qui portent costume et cravate. Tant que les financiers de la violence ne seront pas inquiétés, aucun drone ne ramènera la paix. Haïti n’a pas besoin de mercenaires. Elle a besoin d’un contrat de confiance entre son peuple et son État, d’un sursaut de dignité, et d’une volonté politique d’en finir avec toutes les formes d’impunité.